Cours Privé

par Pia Petersen

Tu es inquiet, je le vois dans tes yeux. Je le comprends. Tu ne sais pas ce que j’ai en tête. Tu veux que je t’enlève ton masque ? Je suis claustrophobe mais j’ai gardé le mien par respect pour toi. Pour sauver ta vie. J’espère que tu apprécies. On aurait pu ne pas avoir cette conversation mais tu t’es obstiné. Tu as bien fait, finalement. Je m’en rends compte maintenant. On se connaît depuis combien de temps ? Je te connais comme si je t’avais fait, m’as-tu répété.

Encore ? Je t’ai signalé à plusieurs reprises que je suis claustrophobe. Je n’aime pas être enfermée. Ta définition de moi s’apparente à une prison. Tu es si persuadé que tu sais tout de moi que tu ne me vois plus telle que je suis.

Tu sais combien j’aime te toucher. Ça te plaît quand je te caresse ici ? Non ? D’habitude tu l’apprécies, tu me supplies de continuer. Très bien. On a le droit de changer d’avis. L’humain fluctue de contradiction en contradiction à l’infini. Encore faut-il savoir le discerner. Nous avons cette discussion à cause de cela. Seulement, je ne comprends pas pourquoi tu penses tout savoir de moi. C’est stupide. Toi et moi, nous sommes deux personnes distinctes, pourquoi aurions-nous les mêmes désirs ? Tu connais le philosophe René Girard ? Il écrit qu’on ne sait pas ce qu’on désire, alors on imite les désirs des autres.

Tu aimes quand je t’effleure, n’est-ce pas ? Non ? Tu n’as pas envie ? Je t’ai pourtant expliqué que tu n’avais pas à t’inquiéter. Tu peux me faire confiance. Tu me dis exactement cela lorsque je m’angoisse. Fais-moi confiance. Tu sais, c’est bête de dire ça. Si je pouvais te faire confiance, tu n’aurais pas à le répéter tout le temps. Ça irait de soi. Ce qu’il y a, c’est que moi, j’ai envie de te toucher. Tu voulais accéder à mes fantaisies ? Et bien, je n’en ai pas. Le fantasme, n’est- ce pas un plaisir auquel tu rêves parce qu’il représente une forme de secret, quelque chose d’inavouable que tu atteins par une mise en fiction ? Je suis à l’aise avec mes désirs, même les plus inavouables. Je n’ai pas besoin de scénario. Je n’ai pas de fantasme caché. C’est quasiment mathématique. J’accepte entièrement qui je suis. Je ne refoule rien en mon inconscient. Rien en moi ne me fait peur.

Pourtant une chose me trouble. Nous avons été enfermés ensemble, confinés, comme ils disent, pendant une très longue période. Tu devrais connaître mes désirs. Savoir ce qui compte plus que tout pour moi. Ce qui me plaît. Mes passions. Je trouve assez vexant que tu n’aies toujours pas compris. Tu veux que je te dise ? Tu souffres du complexe de Dieu. Tu imagines que le monde est à ton image, que les choses sont comme tu les vois. Ce que tu désires, les autres le désirent nécessairement. Et bien, tu te trompes. J’ai un désir bien à moi. Une chose que l’on m’a volée, ou plutôt qu’on ne m’a jamais vraiment accordée. J’ai lutté toute ma vie pour ça. Pour ma liberté.

Tu as l’air étonné. Tu t’attendais à quoi ? Au moins tu ne gigotes plus. Déçu ? Que t’imaginais-tu ? Ah oui, je sais. Tu as transféré tes fantasmes sur moi. Je veux que tu comprennes que je ne suis pas en train de m’en prendre aux hommes en général. Je ne m’en prends qu’à toi, à titre individuel. J’aime les hommes. Mais toi, tu es allé trop loin. L’autre jour, quand nous regardions la télé ensemble, tu te souviens de ce que tu as dit lorsque le présentateur a parlé de la loi anti-avortement au Texas ? Tu as fait semblant d’être choqué, probablement pour me ménager, mais je voyais bien que tu étais d’accord, que tu penses qu’il faut sauver la vie à tout prix, en dépit même des décisions ou des choix de la femme enceinte. Mais ce n’est pas la raison de ma colère. C’est que tu trouves normal qu’on légifère sur mon corps à moi. Pourquoi ? Parce que le corps de la femme appartient aux hommes ? Je t’avais pourtant expliqué l’attachement que j’ai à mon corps qui est le mien, et non pas le tien. Tu n’avais pas compris et ça m’a mise hors de moi. Mon corps m’appartient. Il est à moi. Personne n’a le droit de s’en saisir, ou de prendre une décision à ma place. Il est à moi, et à moi seule. Ce n’est pas discutable.

Qu’est-ce qu’il y a ? Tu veux dire quelque chose ? Mais arrête de bouger. Je n’ai pas envie de t’entendre. Et non, je ne t’enlèverai pas ton masque. Je me suis saisie de ton corps pour que tu comprennes. Tu peux considérer cela comme une leçon. Ou un cours sur la liberté. Tiens. Tu te souviens d’une de tes fantaisies, celle avec les couteaux ? C’était juste avant le confinement. On avait un peu trop bu et tu avais suggéré qu’on pouvait simuler un viol au couteau. J’avais dit non merci. Tu m’avais supplié. Tu n’avais pas compris que le viol me révoltait profondément, qu’il ne m’inspire que de la haine et de la colère. Je te l’expliquais pourtant mais tu ne l’entendais pas. Tu rigolais en prétendant blaguer. Et bien, je n’ai pas oublié. Non pas le viol en lui-même mais l’appropriation de mon corps comme un de tes fantasmes. Tu aimes les esclaves ? Parce que c’est de ça qu’il est question. Tu t’appropries mon corps, tu prends des décisions le concernant, tu penses savoir ce qui est mieux pour lui, exactement comme si j’étais ta chose, ta propriété. De quel droit t’appropries-tu mon corps ? Ça te plaît quand moi, je m’approprie le tien ? Non ? Je pensais bien que tu n’aimerais pas.

Comme ça tu fantasmais sur les couteaux ? Et maintenant, tu en rêves toujours ? Je ne te vois pas bander, donc je suppose que non. Mais si je te fais sentir la lame, comme ça... Ou comme ça... Rien ? Ne me dis pas que ce n’est plus un fantasme. Parce que là, ça m’excite. Finalement, je te vole ton fantasme. Je veux que tu me baises. Non, toujours rien ? Tu es vraiment décevant. Là je suis en train de t’offrir ton fantasme sur un plateau et tu n’en veux plus ? Et si je fais une petite entaille, là ? Non plus ? Vivre ton fantasme, aller dans le sens de ton désir nécessite que je te taillade un peu. Ce n’est pas comme si je te lacère. Tiens, goûte ton sang. Non, ne panique pas, tu ne saignes pas vraiment. L’entaille est vraiment superficielle. Ce n’est rien du tout.

Tu sais, le confinement était dur. Quand je t’avais confié que je le ressentais comme un viol, tu m’avais dit que j’exagérais. Pourquoi dis-tu des choses comme ça ? Pourquoi n’as-tu pas voulu entendre ce que j’avais à dire ? Ça ne compte pas assez pour que tu accordes ton écoute ? Ah, j’oublie. Tu crois que tu sais tout de moi et tu répètes à qui veut l’entendre que tu me connais comme si tu m’avais

faite. Là encore, tu t’es approprié mon corps et mon esprit, mon être en entier.

Le confinement était un temps de prison. On ne m’avait pas demandé mon avis. On m’a juste volé un an de ma vie. Comme ça. On m’a volé ma liberté, mon temps de vie sans rien me demander. Après, tu vois, quand je pense à toutes ces choses qu’on fait subir aux femmes parce qu’elles sont femmes, ça me met hors de moi. Pourquoi est-ce que les hommes n’aiment pas les femmes ? Tu peux me dire pourquoi ?

Et là, si je coupe un peu plus profondément, juste là... Tu le sens ? Je sais, ton corps n’est pas le mien. Et je ne prétends pas savoir ce que tu ressens là, maintenant. Je ne prétends pas savoir comment tu souffres. Je ne peux pas sentir ta douleur. Si je m’applique, je peux imaginer ce que tu ressens mais je ne peux pas le sentir à ta place. Je le sais et c’est là où je te prouve à quel point je respecte ta liberté. Je ne te définis pas. Je ne t’interprète pas. J’accepte ta liberté, que tu es qui tu es et que tu m’es inaccessible. J’aime qui tu es. Et pourquoi ne peux-tu pas, toi, vouloir ma liberté ? Me découvrir au lieu de m’assigner une personnalité qui n’est pas mienne, me soumettre à des désirs qui ne sont pas les miens ? Pourquoi toujours m’enfermer dans ce que tu considères savoir de moi ?

Et pour en revenir au fantasme. J’ai un désir qui a toujours guidé ma vie et c’est la liberté, ma liberté. Maintenant, tout de suite, je veux bien vivre ton fantasme. Je le décide moi-même. Ce n’est pas le mien que je vis mais le tien. Ça ne pourra jamais être le mien. Je ne rêve pas de faire quelque chose, je passe à l’acte. Je réalise mes désirs, sans me les cacher.

Et si je coupe un peu plus profond ? Là, par exemple... Arrête de bouger autant. Tais-toi. Tu risques de t’étouffer avec ton masque. Non, je ne l’enlèverai pas. Arrête de crier. Et là, ça te plaît ?

Entendre les femmes, toutes les femmes ! La règle était simple, « Parlez-nous du Désir, vous êtes libre sur la forme et le fond ». Avec ce courage qui caractérise si bien les femmes, elles se sont prêtées au jeu et le rendu fut une surprise…Désir de vie, désir charnel, mémoire traumatique, vécu des femmes, vie en entreprise, le désir comme source de joie et de plénitude… c’est une histoire de combats, de résilience, de force de vie et de jouissance, qui se dessine. Le plus important réside dans la question posée par chacune. Quelle liberté d’expression au présent ? Et pour le futur ? À l’ère des nouvelles technologies, de l’omniprésence du monde virtuel, des réseaux sociaux, de l’intelligence artificielle, des relations déshumanisées, l’intériorité humaine reste une citadelle.
Ce collectif est un espace libre, sans frontières. Il y a ici des nouvelles, des poèmes, des essais, des réflexions à la longueur variable, des différences stylistiques, une multiplicité vibrante de mots, de pensées, d’idées, une pluralité de tons, d’images, de vécus, de mondes, de milieux… quand les femmes ont la parole le rendu est beau, singulier, poétique.

Collectif dirigé par Ermira Danaj, sociologue, Fabienne Leloup, écrivain, Tamara Magaram, écrivain avec les textes de Ajkuna Hoppe - Amandine Cornette de Saint Cyr - Anne -Charlotte Laugier -Ariana Saenz Espinoza -Aure Hajar - Aurelia Vigouroux - Barbara Halla - Camille Goudeau - Catherine Oberlé - Céline Maltère - Dounia Sellam - Elena Castello - Emma Carenini -Emmanuelle de Boysson -Françoise Simpère - Gabrielle Halpern - Hajar Azell - Ke Wen – LUNa - Meriem Selmani - Amelie K - Meta Tshiteya - Nane Beauregard - Octavie Delvaux -Perrine Meunier - Pia Petersen - Seforah Benhamou - Sissi Ngom - Sophie Iborra - Suzanne Azmayesh - Tatiana de Francqueville - Valérie Perez Ennouchi