Un roman coup de massue

LES CHRONIQUES CULTURELLES
Avril 2013

Ce roman est un de mes achats au salon du livre, et il n’a pas patienté beaucoup avant que je le dévore. A vrai dire, je le voulais absolument et je n’ai même pas attendu d’avoir terminé le précédent pour m’y plonger. Je l’avais déjà repéré sur quelques blogs, mais le coup de massue est, comme souvent, venu de l’auteure elle-même, de François Busnel et de la Grande Librairie: là, je me suis dit: il faut absolument que tu lises ce roman, toi qui es totalement obsédée par les histoires d’écrivains (et de fait, j’ai l’impression en ce moment de ne lire que ça), et ce n’est pas voulu car parfois la quatrième de couverture ne l’indique pas.

Gary Montaigu, écrivain à succès, vient d’obtenir le prestigieux International Book Prize et de signer pour une téléréalité qui vise à porter la création littéraire à l’écran afin de permettre aux gens de suivre le processus d’écriture. Suivre? Pas seulement, car le roman écrit est participatif, et l’histoire avance à mesure des j’aime/je partage des téléspectateurs, qui vident la création de sa substance et donnent rapidement à Gary, que l’on retrouve bientôt enfermé chez lui et complètement à sec, l’impression d’avoir vendu son âme au diable…

Un écrivain, un vrai est à la fois le titre de l’émission de téléréalité et du roman écrit par Gary. Mais c’est aussi, par un effet de mise en abyme, le roman que nous lisons, et son sujet essentiel: qu’est-ce qu’un écrivain? La réponse n’est jamais simple, bien sûr, mais ce que Pia Petersen montre du doigt, c’est ici la perte de valeur de cette mission sacrée. Affublé d’une femme arriviste, Gary en vient à privilégier aux amitiés sincères des gens plus en vue. Il devient un people qui fascine les gens, auréolé de son statut d’artiste.

Mais est-il alors encore un écrivain, lorsque l’écriture devient pour lui une contrainte, un travail au sens étymologique du terme (tripalium, instrument d’immobilisation et de torture), un enfermement, une prison dont sa femme devient la geôlière et la tortionnaire en chef? Est-il encore un écrivain lorsqu’il est dépossédé de son œuvre, que ce soit par son horrible épouse qui charcute et simplifie ses mots, ou par les téléspectateurs qui veulent du lisse et du facile? Quand on sait combien un texte est consubstantiel à son auteur, on sait très vite que des muses, c’est Melpomène, celle de la tragédie, qui aura sans doute ici le dernier mot.

Ce roman, ou la fiction anticipative se mêle au réel d’écrivains nommément cités (Alain Mabanckou, par exemple), se veut avant tout une réflexion non seulement sur la téléréalité, mais aussi sur le monde d’aujourd’hui, et sur le rôle des écrivains dans la société: doit-il, pour plaire, se conformer aux attentes édulcorées du public, ou doit-il tracer son chemin, dire le monde comme il le voit, quitte à n’être pas compris? La réponse est évidente, elle est magistralement menée dans ce roman à la construction narrative impeccable, que je ne saurais trop conseiller à tous ceux qui ont envie de réfléchir un peu sur toutes ces questions.

Le roman fait partie de la première sélection du prix Rive Gauche.