Mon nom est Dieu
Pia Petersen

EONTOS
Avril 2014

Morgane, jeune journaliste à Los Angeles, croise sur son chemin un étrange SDF; il prétend s'appeler Dieu, être Dieu lui-même, et va lui demander d'écrire sa biographie. Mais ils rencontrent une espèce de gourou, Jansen, fondateur d'une église, qui voit tout de suite le parti qu'il peut tirer de ce Dieu…

Scénario original, dont on se demande bien ce que va pouvoir en tirer la romancière; eh ma foi, en dehors de la fin, quelque peu chaotique ou pus exactement qui ressemble beaucoup plus à une fuite en avant, il faut reconnaître qu'elle s'en sort très bien, et qu'elle tient son lecteur en haleine.

Pour ce faire, elle sait mélanger adroitement deux niveaux de lecture: l'événementiel et le philosophique.

En ce qui concerne le premier, il y a d'abord la découverte que fait (réellement ou seulement semblant?) Dieu du Monde; de la société des humains; à commencer par ces relations marchandes qui sont exclusivement conditionnées par l'argent. Cocasses ces scènes où dans différents magasins Dieu s'en va comme un voleur sans ne rien payer; et il n'y aurait Morgane pour le ramener à la réalité, il se comporterait comme un vulgaire délinquant. Pourtant pour lui, et le raisonnement ne manque pas de sel, qui consiste à dire, puisque je suis Dieu, que j'ai créé l'homme, je reste Dieu et ne suis pas contraint d'obéir à ses règlements.

L’événementiel aussi, c'est cette critique acerbe et oh combien justifiée que fait la romancière des dérives sectaires: celle de Jansen. Exploitation de la naïveté populaire, il ne croit pas bien sûr en un quelconque Dieu, mais il sait que le phénomène religieux est capable de lui permettre d'assouvir sa volonté de pouvoir et de puissance et en même temps de lui apporter richesse et autres conforts, y compris, sexuels! Et il n'est pas le seul à en être convaincu, il a réussi, et sans la moindre difficulté, tant c'est dans la nature de l'humain, à mettre dans sa manche quelques-individus, ceux qui financent son Église. Pour être quelque peu simplifié, le mécanisme est quand même bien démonté, et dans le cadre de son roman, il fait mouche à tous les coups. Ajoutez à cela cette ultime dénonciation (mais avons-nous encore besoin d'en être persuadés?) de la main mise psychique sur les êtres dont est capable le même Jansen?

Toujours dans l’événementiel religieux, ce sont toutes les interventions surnaturelles dont est émaillé le récit: les prodiges qu'accomplit Dieu. Certains rappellent la Bible, et l'on s'en amuse, la mer qui se scinde en deux, mettant en péril d'innocents baigneurs dont des enfants! Ou encore des tremblements de terre, en particulier lorsque Dieu est en train de copuler à tiens en veux-tu voilà avec une prostituée qui ne demande qu'à monter au septième ciel (et Dieu n'est-il pas là pour cela?). Blasphématrice la Petersen? D'autres prodiges raviront les écolos, qui oscillent entre la foi du charbonnier et celle du scientiste pur et dur (remarquez, je l'écris, mais je ne sais pas où est exactement la différence!): imaginez cette plante verte qui, fanée avant que ne paraisse Dieu, va tout à coup refleurir à son départ.

L’événementiel encore, quelques caractéristiques de la société américaine (et pas seulement): le petit copain de Morgane, le self made man par excellence, Dorian, qui saisit lui-aussi, malgré la jalousie qu'il pourrait ressentir vis-à-vis de lui, tout ce que pourraient lui rapporter Dieu et la biographie que veut écrire sa petite amie Morgane. Autre lieu haut en couleurs, le bistrot tenu par un couple à trois, un homme à la fois marié et gay; ou encore, ces parties particulièrement bien léchées et qui ravissent les lecteurs au fait des manifestations collectives: ces mouvements de masse où Dieu, considéré comme pédophile par exemple, manque d'être lynché. Mais non elle n'en rajoute absolument pas la Petersen, combien de faits divers ne sont-ils pas là pour nous rappeler qu'il n'y a rien de plus dangereux qu'une foule devenue d'autant plus irrationnelle dans son comportement qu'on a flatté en elle ses plus bas penchants.

Les amoureux de polars trouveront aussi leur compte: Jansen qui fait surveiller de très près Dieu et Morgane, de peur que ces deux êtres qui doivent lui rapporter énormément, ne lui échappent; et en sens inverse, ces quelques lignes où les trois grandes religions monothéistes mettent tout en œuvre pour neutraliser Dieu et ce Jansen qui devient tout à coup bien trop encombrant.

L'on me pardonnera de ne citer que quelques-uns des innombrables moments de ce roman, mais si je les mentionnais tous, y aurait-il encore quelques raisons de lire ce roman?

Car il y a aussi une toute autre dimension, clairement définie: la place de Dieu et de la religion dans notre société, y compris dans l'histoire de l'Humanité! J'aime beaucoup les références que fait Dieu à la mythologie grecque et en particulier à son homonyme Zeus (mais c'est bien connu je suis complètement vieillot!).

La Morgane se présente comme athée, totalement imperméable à la notion de Dieu; elle la renie scientifiquement, comme étant impossible. De ce côté elle serait presque sympathique, sauf qu'elle nous est présentée comme une impulsive ou une sentimentale; c'est-à-dire que son athéisme ressort lui-aussi de la même nature que la foi du charbonnier (cf, plus haut). Cela me dérange, et m'aurait beaucoup moins troublé si elle avait eu le courage de poursuivre son analyse un peu plus loin et d'avouer que la nature de son athéisme n'était que le contrecoup d'un atavisme qui, depuis quelques trois ou quatre mille ans, veut à tout prix qu'il y ait un Dieu et que ce Dieu gouverne non seulement les êtres humains, mais, pire encore, inspire une morale qui régit les règles de la société (à ce niveau de la réflexion, interrogeons-nous: on reproche, et à juste titre à l'Islam de confondre religion et organisation sociale et politique, mais à y regarder d'aussi près, qu'a fait le judaïsme si ce n'est la même chose, et la religion catholique n'a-t-elle pas durablement et quasi indélébilement marqué nos sociétés occidentales? et ce n'est pas la séparation laïque qui a vraiment bouleversé les esprits! Serais-je toujours aussi ce grand sceptique???)

Alors, qu'elle en arrive à douter, et ce non tant sur des raisons philosophiques que seulement sentimentales, car elle est jalouse de celles que Dieu lui préfère, cela nous la rend vraiment sympathique cette Morgane.

Mais ce n'est pas là l'essentiel; l'essentiel est bien que Petersen dans tout son roman énonce la seule vraie question que devraient se poser tous les hommes croyants ou non: l'existence de Dieu est-elle une nécessité historique, morale, ou seulement sociale?

Lire ce roman c'est peut-être trouver une réponse, malgré l'ambiguïté totale de la fin, en tout cas c'est passer d'excellents moments qui allient à la fois divertissement et réflexion … ce qui n'est pas si mal par les temps qui courent.