En refusant le mariage,
Pia Petersen choisit l’amour

L'HUMANITÉ
Muriel Steinmetz
Octobre 2013

Dans une lettre adressée à un homme, la romancière développe tout un faisceau d’idées paradoxales sur la condition de femme et de mère.

Pia Petersen est danoise. Elle vit en France, à Marseille, depuis de nombreuses années. Elle a déjà publié huit romans dont cinq sont parus chez Actes Sud. Chez Nil Éditions sort son dernier livre, Instinct primaire, sous la forme d’une lettre à un homme que celle qui dit «je» n’a pas voulu épouser. Nous l’avons rencontrée à cette occasion.


Ne pensez-vous pas que votre confession à contre-courant va provoquer quelque scandale, dans la mesure où vous prenez fait et cause pour le célibat et l’amour avec un grand A, ce qui peut déjà sembler un paradoxe?

Pia Petersen. Si mon livre fait scandale, c’est que j’aurai mis le doigt sur un vrai problème. L’amour et le célibat ne sont pas contradictoires. Peut-être même que le célibat est nécessaire à l’amour. Durant la rédaction de cette lettre, j’ai souvent pensé que mes idées allaient heurter parce que, aujourd’hui plus qu’hier, les gens sont susceptibles et se refusent à penser jusqu’au bout. C’est donc un peu effrayant de s’engager sur ce terrain glissant. En même temps, l’écrivain a aussi pour rôle de souligner ce qui ne va pas. Cette lettre, je désirais l’écrire depuis des années. Je n’ai jamais osé le faire. Aujourd’hui, je suis prête à affronter les réactions qu’elle risque de susciter. Le sujet dont elle traite l’a finalement emporté sur mes craintes personnelles même si je fais des cauchemars depuis la parution.

Pensez-vous que votre expérience personnelle en vue de vous consacrer entièrement au travail d’écrivain est exceptionnelle?

Pia Petersen. Généralement, les écrivains qui se vouent entièrement à l’écriture jouissent d’une sécurité financière. Ceux qui, comme moi, ne ­vivent que de leur plume sont plutôt rares. C’est néanmoins important pour l’écriture. Je suis dans une situation où je devrais normalement faire des compromis pour survivre. Ce n’est pas le cas. Il m’arrive de me demander comment je vais finir le mois, si je ne vais pas devoir faire la manche dans la rue. C’est préoccupant, effrayant, angoissant, mais je n’ai jamais pu rester en place quelque part. Si je prends un boulot alimentaire, je me fais immédiatement virer. Je n’ai pas le choix.

On ne peut évidemment pas nier le caractère autobiographique de ce texte écrit à un homme qui ne veut plus parler à celle qui s’adresse à lui…

Pia Petersen. C’est autobiographique mais c’est aussi, et peut-être surtout, de la fiction. Je n’ai pas encore été dans le cas de figure du personnage à qui tout dialogue est refusé par l’homme qu’elle aime. Il s’agit d’abord d’énoncer un certain nombre d’idées via une femme inventée de toutes pièces – qui me ressemble – qui épouse en partie mon expérience et ma manière de vivre.

La leçon de ce livre est-elle applicable à d’autres personnes, à d’autres femmes, et d’abord, est-ce une leçon?

Pia Petersen. Ce n’en est pas une. Mon personnage envoie une lettre à un homme qu’au dernier moment elle a refusé d’épouser. Elle lui explique la raison de ce refus. Elle voulait l’amour, mais pas le mariage ni devenir mère. Je suis profondément triste d’avoir été confrontée à un tel dilemme. Dans ce cas-là, cet homme n’a pas cherché à savoir qui est réellement cette femme. Cela dit, ce livre s’adresse à toutes et à tous. Depuis sa récente parution, j’ai reçu de nombreuses lettres d’hommes. Beaucoup en ont assez d’être définis par leur statut de reproducteurs. Eux aussi veulent être considérés pour ce qu’ils sont. Nous sommes aujourd’hui confrontés à un problème de définition. Qu’est-ce qu’un homme et qu’est-ce qu’une femme, selon la pensée ­commune ? Chacune, selon moi, devrait se voir d’abord en tant que femme plutôt qu’en tant que mère présente ou à venir.
Je reçois également des lettres de femmes mariées qui ont des enfants. Certaines m’ont dit s’être senties beaucoup moins seules après avoir lu mon livre. J’ai aussi eu beaucoup de réactions d’homosexuels, hommes et femmes. Je me suis donc rendu compte après coup qu’un grand nombre de personnes aimeraient ne plus subir cette pression terrible qu’est l’enfantement. Se voir défini en tant que père ou en tant que mère laisse peu de marges à ceux qui sont célibataires, homosexuels, voire aux mères ayant pu regretter de le devenir. Je pensais que j’aurais eu beaucoup plus affaire à des cas spécifiques comme le mien, celui d’une femme célibataire qui n’a pas eu d’enfant.

Il semble que vous vouliez vous situer dans un au-delà du féminisme classique, et ce au nom de l’amour…

Pia Petersen. Je suis danoise. Je suis née dans un monde où l’égalité hommes-femmes est une réalité effective. Je n’ai jamais eu à être féministe car je ne me suis jamais considérée comme devant être soumise à un homme. Une fois arrivée en France et ayant aussi beaucoup voyagé, j’ai rencontré de très nombreuses femmes qui souffraient de ce sentiment d’inégalité. Même si, en ­Occident, la femme est bien plus libre qu’ailleurs, je sens qu’il y a actuellement un détournement du féminisme, comme si nous étions face à une impasse. J’ai le sentiment que beaucoup de femmes ont baissé les bras pour se réinscrire dans le cadre familial classique, dans l’espoir d’y trouver la sécurité inexistante hors du foyer conjugal. L’image que la société me renvoie de moi-même est à la fois dure, fausse et réductrice. Une femme qui n’a pas désiré avoir d’enfant est forcément froide, aigrie. Elle n’est pas heureuse. Elle a raté sa vie. On lui tape sur l’épaule en lui disant : « Ma pauvre, comme ça doit être triste. » Je me suis rendu compte que toutes ces réactions extrêmement ­violentes venaient presque exclusivement de femmes. Ce sont elles qui me réduisent à cet être pitoyable, en panne d’épanouissement. Le fait que j’avoue être heureuse leur paraît une agression. Se rendent-elles compte alors qu’elles auraient pu faire un autre choix ? Mon livre n’est pas une croisade contre les mères. Je tente juste d’ouvrir la réflexion. La maternité est de plus en plus perçue comme une mission.

Vous évoquez aussi la surpopulation…

Pia Petersen. J’estime qu’aujourd’hui, en Occident, nous ne sommes pas obligés de faire des enfants. Nous avons ce luxe-là. Si les femmes décident d’avoir le choix, sans obligation, alors n’auraient des enfants que celles qui le désirent vraiment.

En disant que les femmes ne doivent pas être définies par leur fonction reproductrice, vous pouvez vous attirer l’hostilité de pas mal d’entre elles, qui n’ont pas le don d’écrire…

Pia Petersen. Je ne vois pas pourquoi ça les rendrait ­hostiles. C’est une ouverture que je propose à la femme. Ces femmes hostiles, je les plains. Ça fait tellement d’années qu’on tourne en rond. J’ouvre la parenthèse.

Vous êtes en train de terminer votre prochain roman. Quel en est le sujet?

Pia Petersen. Cela s’appellera Mon nom est Dieu.

Une adresse aux femmes aussi

C’est un livre audacieux et qui dérange. La narratrice use du style épistolaire pour expliquer à l’homme qu’elle aime les raisons de refuser de s’unir à lui, en justes noces. Depuis, il ne veut plus entendre parler d’elle. La romancière s’interroge : Est-ce que l’on a si peur de perdre l’autre que l’on soit obligé de lui mettre un contrat autour du cou ?  Cette révolte intime, elle l’applique à la définition exclusivement maternelle de l’être féminin. Elle prend à rebrousse-poil plus d’une idée reçue. Écrit dans une langue incisive, ce message – adressé en sous-main aux femmes – quoique provoquant, demeure malgré tout optimiste.

Instinct primaire, de Pia Petersen. Nil Éditions, «Les Affranchis». 112 pages, 8,50 euros.