Quand le secret d’écrire est mis à nu à la télévision

L'HUMANITÉ
Muriel Steinmetz
Janvier 2013

La romancière danoise Pia Petersen a écrit en français un roman qui dénonce
la mainmise de l’opinion publique télévisuelle, dans une émission de télé-réalité,
sur l’univers d’un écrivain qui se croyait incorruptible.

La Danoise Pia Petersen publie son neuvième roman au titre gentiment provocateur, Un écrivain, un vrai.

Gary Montaigu, justement, écrivain en vue, vient de recevoir à New York un prestigieux prix littéraire. Il est alors approché par le producteur d’une émission de télé-réalité qui donne son titre au livre. Il s’agira d’être filmé vingt-quatre heures sur vingt-quatre, durant un temps donné. L’une des caméras aura d’ailleurs pour fonction de le traquer jusqu’à sa table de travail. Chaque jour les internautes, devenus télé-lecteurs, se prononceront en votant j’aime, je partage car le livre en cours est annoncé comme un roman participatif.

Et voilà ce romancier intègre devenu la proie du pire espionnage, celui d’un monde, le nôtre, ivre de paraître, fou de transparence, et où l’on célèbre les instants les plus nuls de la vie, les pires platitudes en se posant le moins de questions possible. Le trop-plein de visibilité affectera-t-il le créateur en banalisant ses idées les plus subversives? Sois moins littéraire. Ne parle surtout pas d’écriture. On s’en fout, lui conseille même, en plein tournage, son épouse. Ne faut-il pas incarner un monde exclusivement positif, où la langue et le corps sont également confinés, un monde sans métaphore, un monde de têtes molles qui avalent tout sans trop y regarder?

C’est en se métamorphosant en ce que chacun veut voir en lui, un type banal et prévisible, vecteur économique d’émotions simples, que l’écrivain risque de perdre son âme. Quant à la société dont il devient un symptôme majeur, elle sombre dans l’ignorance, la déshumanisation, le totalitarisme. La présence énigmatique d’un personnage à cheveux gris qui, à l’extérieur, rôde autour de la prison cathodique de l’écrivain, ne signifie-t-elle pas sa conscience malheureuse qui le poursuit?

La critique au vitriol si bien sentie de la romancière révèle un temps maudit où le livre risque de devenir un concept dépassé. Le récit est d’autant plus paradoxal que l’écrivain, qui se pense comme sujet singulier par excellence, se retrouve de la sorte vulgarisé à l’extrême, c’est-à-dire réduit à néant.

Quel rôle va jouer l’artiste dans la société virtuelle interactive ? L’acte d’écrire peut-il être filmé?

Pia Petersen pose les questions et répond déjà en creux. Elle parvient habilement à nous tenir en haleine dans cette course-poursuite haletante entre un homme et son époque imbuvable.