Une réflexion d'écrivain, une vraie

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Hubert Artus
Janvier 2013

Le nouveau roman de Pia Petersen allie fiction et réflexion sur la place de la littérature face au storytelling.

Pour un littéraire, la vie des écrivains est toute une histoire. Aussi, lorsque paraît une fiction qui fait oeuvre de littérature tout en portant un haut regard sur l'écriture et sur le monde, le lecteur se réjouit.

Pia Petersen a ce regard, elle l'avait démontré en sept romans sur l'exil, la misère sociale, la crise économique; distinguons Passer le pont (2007), Iouri (2009) ou Une livre de chair (2010). Danoise vivant dans l'hexagone, elle écrit dans un français clair et sans fioritures.

Voici, donc, une histoire d'écrivain. Nous sommes aux États-Unis, et Gary reçoit l'International Book Prize. Sitôt distingué, et alors qu'il a en tête des romans puissants et dévastateurs comme des ouragans, il accepte de se prêter au jeu de la télé-réalité, à travers l'émission Un écrivain, un vrai. Un feuilleton de trente minutes par jour, où Gary écrit et propose aux téléspectateurs d'intervenir sur l'histoire de son livre en cours, de voter par des J'aime et Je partage. Chaque jour, il donnera les chapitres aux scénaristes, qui les transposeront à l'écran: On lira votre roman par l'image. C'est magnifique, non? Les lecteurs n'auront même plus besoin de l'objet livre.

Si cette première trame n'est pas nouvelle, l'histoire prend de l'épaisseur quand s'y superpose une intrigue croisée, qui mêle altercations avec paparazzis, arrangement avec la production et disparition d'un des personnages.

C'est ainsi que la Danoise mène le lecteur au coeur de sa thématique: que se passe-t-il lorsqu'un écrivain a vendu son âme? L'essentiel s'écrit sans lui: la mort de Kadhafi passe en boucle sur les chaînes d'information, et Gary est enfermé dans ses petites histoires. Même sur son couple, il en sait de moins en moins. Moins même que ses propres lecteurs.

Ce roman, qui débute par certaines facilités, convainc à mesure qu'il devient bien plus qu'une simple histoire d'écrivain dans un monde où il y a trop d'hommes et ils ne comptent plus du tout, l'esprit critique n'est plus possible, remplacé par j'aime, je partage.

Troublant et magistralement bouclé, le livre déborde régulièrement du cadre romanesque pour aller taquiner le storytelling, le rapport au réalisme, l'intime, et l'universel. Une histoire qui, dans toute les dimensions du mot, est une réflexion.


***Un écrivain, un vrai par Pia Petersen, 224 p, Actes Sud, 20 €