Alain Mabanckou et Pia Petersen:
l'écrivain-voyageur et la passagère intranquille

MIJAK
Janvier 2013

Comme chaque matin, j'allume la radio. Tandis que je m'affaire à préparer le petit déjeuner, une voix chaude, familière, me tire de ma torpeur matinale. Alain Mabanckou est l'invité des Matins de France-Culture. Marc Voinchet le questionne autour de son dernier ouvrage Les lumières de Pointe-Noire.

Bercé, comme en rêve, par les mots d'Alain, je me laisse emporter sur les rives atlantiques de l'Afrique... au Congo Brazza. Je m'imagine arpentant les rues animées et bruyantes de Pointe-Noire, cette ville portuaire, poumon économique et culturel du pays, où la vie explose en mille pulsations multicolores... Je me délecte en entendant l'auteur de Black Bazar parler de son travail d'écrivain, attelé à faire exister cette littérature-monde dont il est un représentant engagé...

L'animateur de l'émission interrompt l'échange pour un bref intermède où l'on peut entendre la voix d'un autre écrivain. Une femme, cette fois, danoise d'origine mais ayant adopté notre pays et écrivant ses livres en langue française... Pia Petersen est amie d'Alain et elle le connait bien. Au point de faire de lui un personnage de son dernier roman: Un écrivain, un vrai. Le titre est tout un programme! Avec une ironique clairvoyance, Pia Petersen interroge le rôle de l’écrivain dans nos sociétés contemporaines interactives. Face au simplisme démagogique de la téléréalité et aux charmes fallacieux du storytelling, elle plaide avec détermination pour la complexité de la pensée, la liberté de créer sans le souci de séduire, sans renoncement, sans concessions.
Du point de vue de Pia Petersen, Alain Mabanckou est un écrivain un vrai, car il refuse de tricher avec la réalité tout en défendant sa liberté de pouvoir - par la fiction - la transformer.

Désireux d'en savoir plus sur elle, je suis allé ce soir naviguer un peu sur son site. J'y ai découvert le texte d'une petite nouvelle qu'elle a publiée dans la Revue Littéraire (N° 53) et intitulée: Concierge story. Sur un mode ironique et avec un humour grinçant, elle y défend l'idée que l'écrivain (le vrai!) ne doit pas se contenter de résister. Il doit partir en guerre: Il faut partir en guerre contre la mort de l’esprit, la mort de l’intelligence, envisager la guérilla, ça suffit la complaisance et la paix, l’acceptation de n’importe quoi, oui, il faut attaquer au lieu de résister. L’écrivain doit se réapproprier le récit, sortir du champ de la téléréalité et de l’émotion et vous allez voir ce que vous allez voir.

Au fait, le 21 novembre dernier, a eu lieu un évènement resté inaperçu dans le brouhhaha médiatique: le lancement à Paris de la Revue IntranQu’îllités. Fondée par le poète haïtien James Noël et Pascale Monnin, plasticienne, la revue se propose d’être une boîte noire qui capte et rassemble les mouvements, les vibrations et autres intranquillités créatrices.

Déconstruire les frontières, faire tomber les murs visibles et invisibles par le biais de l’imaginaire. Rendre compte de la beauté du monde envers (en vers) et contre tout, à travers les mots et toutes autres formes d’expressions artistiques de notre temps, tel est le but fixé par toutes ses voix intranquilles qui fourmillent ce beau rêve. Au-delà des frontières le plus souvent artificielles entre les disciplines de la création, seule compte à nos yeux la poétique, meilleure paire de lunettes pour regarder le monde!

Et parmi les nombreux contributeurs de la revue... il y a Pia PETERSEN!

Il est vrai qu'en compagnie de l'écrivain Wilfried N'Sondé (un autre écrivain ami que nous avons eu la joie de côtoyer pendant quelques mois cette année à Vaulx-en-Velin), elle a été accueillie en résidence d'écriture à la maison des Passagers des vents en Haïti. Cette expérience inoubliable elle l'a racontée dans un texte publié dans la revue Intranqu'îlités et intitulé Une folie en commun:

... Nous embarquons tous pour le sud. Nous traversons l’île. Les gens vivent au bord de la route parce qu’il y a de l’électricité et de la circulation. Et l’on arrive à Port-Salut. Des vents, des mots, des phrases aussi, une maison ouverte aux courants d’air, un îlot où l’imaginaire se retire, se planque entre les palmiers, se cache pour mieux voir, pour partager les visions du monde, les inquiétudes que nous avons en commun, nous, les Passagers des vents. Nécessité de dire, urgence d’écrire. Un regard sur le monde, trouver la bonne manière de dire ça ne va pas sans déprimer, inventer aussi la façon de souligner tout ce qui est beau sans être niais, une recherche pour trouver le nœud, un désir de refaire le monde, imaginer ce que pourrait être cet endroit où nous habitons tous..."

Il n’y a que les poètes pour tenter encore les utopies, ces projets qu’on juge fous, irréalisables mais qui jettent les mots avec lesquels on peut encore construire un monde.
Pia Petersen