Les jeux sont faits

ZIBELINE
Marie Godfrin-Guidicelli
Mars 2010

Emprunté à la pièce de Shakespeare Le Marchand de Venise, le titre du roman de Pia Petersen, Une livre de chair, est un huis clos étouffant comme il se doit. Collant comme la sueur des personnages englués dans leur misère sociale ou affective, réunis par hasard autour d'une table de jeu dans un appartement miteux de New York. La partie est à quitte ou double! Et cette "livre de chair" prendra tout son sens à la dernière page du roman, dans un inéluctable bain de sang...

Rien ne prédestinait Romain, Hunter, Logan, Porter et Ryan à se rencontrer, sauf que la crise financière de 2008 a anéanti leurs vies et leurs rêves, avec pertes et sans profit. Tous sont au bout du rouleau car le nerf de la guerre, martèle l'auteur, c'est l'argent! Aux dires des personnages et selon les événements, l'argent est haïssable, enviable, sacré, incontournable, symbole de pouvoir. D'où l'affrontement de deux mondes: celui des riches "qui ont des privilèges" et celui des pauvres "ceux qui servent". Une vision manichéenne qui organise la structure même du texte.

Construit autour de Romain, figure du millionnaire hollywoodien déchu, le roman est écrit comme une spirale qui oppresse le lecteur tout autant que ses personnages.

La langue, lancinante, procède par retours sur le passé, répétitions et thèmes récurrents (argent, pouvoir, célébrité, amour). Seules échappatoires, les digressions intimes, les souvenirs et les descriptions de New York et Los Angeles qui permettent une courte respiration.

Dans cet enfer noir, le portrait des joueurs se dessine à travers leurs fissures et leurs désamours.

Les héros sont fatigués. Ce sont les fils d'Horace McCoy et Tom Wolfe, les cousins germains de Truman Capote, sans son ironie décapante.